« Nous ne voulons pas répéter » – Comprendre le travail des centres parentaux

« Nous ne voulons pas répéter ».

C’est l’annonce avec laquelle arrivent les jeunes couples accueillis au centre parental. Le centre accueille des couples dont la femme attend un premier enfant. Ils désirent élever ensemble leur enfant à naître. Ils ont entre 18 et 25 ans en moyenne. Dès le premier entretien chacun dit souhaiter que son enfant ne vive pas ce qu’il a lui-même vécu : abandon, ruptures familiales, violence, mises à la rue. Il ne suffit pas de dire pour que ça advienne, il ne suffit pas de vouloir. Il s’agit d’accorder désir et réalité. Or, très vite, ce qui se joue, ce qui passe à l’acte est exactement ce qui est craint. La peur de l’abandon s’exprime par exemple par la peur d’un laisser tomber : du porte-bébé, du lit ou de la table à langer.

Les crises de couples actualisent les violences vécues avec les parents et les fratries.

EXACTEMENT ?

« Mon fils me ressemble comme deux gouttes d’eau, comme moi je ressemble à mon père. Je ne peux pas me sortir de ça. J’espère qu’il prendra ce qu’il y a dans la tête de sa mère. » Ce jeune fait part de ses énervements lorsque son enfant pleure : »je ne supporte pas d’entendre un enfant pleurer ! »

Qui pleure ? L’enfant, assurément, mais surtout CE qui est insupportable pour le père. Celui-ci l’entendra. Qu’est ce qui fait que l’insupportable se re-présente avec cette force qui vient pervertir les liens d’amour ? Qu’est ce qui fait que la répétition porte sur un événement pénible, une situation de souffrance qui contredit le principe de plaisir? Ces jeunes couples sont authentiques dans leur désir de choyer et éduquer leur enfant. Comme la plupart des parents ils désirent le meilleur pour lui. Est-ce la lourdeur de l’histoire ? l’importance des peines vécues ? Pourtant, tout sujet a affaire à la répétition pour la bonne raison qu’elle l’institue en tant que tel. Ainsi chaque nouveau parent se trouve confronté à l’enfant qu’il a été. Chacun se jure de ne pas faire comme père et mère et pourtant, même si le constat ne se fait pas tout de suite, il se fait la plupart du temps soit dans l’identique soit dans l’opposé, ce qui revient au même. Le même serait ce que vise la répétition ou plus précisément : le retour au même. Le discours souvent tenu à propos de ces jeunes, en témoigne : « il a été violenté, il sera violent, il a été abandonné il abandonnera ». Or si elle est entendue dans le cadre d’un transfert, d’une rencontre, loin d’être une malédiction, la répétition devient au contraire le chemin du sujet. Plutôt que le retour au même, la répétition est à entendre comme un retour sur un temps premier. Dans son séminaire sur la logique du fantasme, Lacan dira que « répéter n’est pas retrouver la même chose et que contrairement à ce qu’on croit, ce n’est pas forcément répéter indéfiniment »

La répétition vise à réduire (au sens chirurgical) ce qui a été insupportable pour le sujet, à savoir ce qui fait trauma. Mais qu’est ce que le trauma ? La répétition est présente dans les représentations du sujet, dans son discours, dans ses conduites, dans ses actes, dans les situations qu’il vit. C’est ce qui fait que quelque chose revient sans cesse, le plus souvent à son insu et en tout cas sans projet délibéré de sa part. La répétition apparaît comme un retour du même, avec une valeur compulsive nommée par Freud contrainte de répétition.

Qu’est-ce que ce quelque chose qui se répète ?

Qu’est-ce qui fait, par exemple qu’un jeune de ces résidents rompe son contrat de travail à chaque fois qu’il est question qu’il dure et surtout qu’il ait une valeur de compétence élevée ?

Freud, a découvert que, lorsque chez un sujet un événement survient auquel il ne peut faire face, c’est à dire qu’il ne peut ni l’intégrer dans le cours de ses représentations, ni l’abstraire du champ de sa conscience en le refoulant, alors cet événement a proprement valeur de traumatisme. Ce trauma, pour laisser le sujet en paix, exige d’être symbolisé. Son retour incessant sous forme d’images, de rêves, a précisément cette fonction : tenter de le maîtriser en l’intégrant à l’organisation symbolique du sujet. La fonction de la répétition est donc de réduire le trauma. Elle se révèle être une vaine tentative si elle n’est pas entendue dans le cadre d’une rencontre, si aucune intervention ne vient faire coupure, c’est à dire introduire de la différence.

Dans son séminaire numéro 11, (les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse) Lacan propose de distinguer deux versants de la répétition en se servant de deux concepts aristotéliciens, la Tuché et l’automaton.

L’automaton désigne pour lui l’insistance des signes, c’est à dire le principe de la chaine signifiante soit ce qui de l’entendu fait signifiant pour le sujet. Il s’agit donc ici du versant symbolique. Le fonctionnement de la chaîne signifiante dans laquelle le sujet a à se reconnaître comme tel, repose sur le phénomène de répétition : si les signifiants font sans cesse retour c’est parce qu’ils dépendent d’un signifiant premier qui a disparu originellement et auquel cette disparition donne valeur de trauma inaugural. S’effacer, chez le névrosé n’a t-il pas valeur de disparition, d’identification à ce signifiant à jamais perdu ?

Quant à la Tuché, c’est ce qui est à l’origine de la répétition, c’est ce qui déclenche cette insistance, le trauma en somme. C’est la rencontre qui n’a pu être évitée, de quelque chose d’insupportable pour le sujet. Cet insupportable que Freud tentait de prendre en compte sous les auspices de la pulsion de mort Lacan va alors la conceptualiser sous le terme de Réel soit l’impossible à symboliser pour un sujet, l’impossible à affronter. Aussi la répétition, pour lui, est-elle au nœud de la structure.

Il s’agirait, au delà du fait historique, au delà de ce qui est communément reconnu comme souffrance, d’une rencontre avec l’insupportable, l’insupportable du désir.

Au centre parental, les jeunes sont amenés régulièrement à se demander pourquoi ils se mettent dans des situations contraires à leur désir : ne pas payer le loyer de leur logement si important pour eux, faire vivre à leur enfant des situations similaires à celles qu’ils ont connues, ne pas chercher de travail alors qu’ils souhaitent trouver un statut social etc…

Le transfert sur l’ensemble de l’équipe du centre permet une actualisation, c’est à dire une occasion de répéter mais aussi d’appréhender in situ le fonctionnement de la répétition. La charge pulsionnelle se réduit ainsi. Cette charge, bien nommée, est d’autant plus forte que la demande d’amour est importante. Au-delà du besoin il y a l’amour, et les demandes alimentaires et financières que les jeunes font, sont entendues de cette façon, dans le cadre du transfert et de son maniement.

Que la répétition soit au cœur de la structure est de la plus haute importance, à double niveau. D’une part cela permet de ne pas stigmatiser ces jeunes, d’autre part cela signifie que de la transformation est possible. La répétition devient alors occasion de transformer. Les jeunes du centre sont comme chaque être humain des êtres désirants et de langage, libres de refuser ce qui fait souffrance.

Au centre parental les jeunes sont invités à soutenir leur désir ; ils sont accompagnés de cette façon dans le travail de parole mais aussi dans les actes qui font leur quotidien.

Chaque clinique est singulière, chaque analysant est singulier. Au centre parental, chaque professionnel a un parcours singulier qui ne fait pas de lui un spécialiste mais un accueillant. Chaque professionnel accueille, chaque jour, l’état émotionnel vécu par le résident, qu’il soit de joie, de colère, de besoin, de tranquillité. Pas de spécialiste mais une attention particulière à l’enfance, au petit enfant comme base de la construction humaine. Le bébé attendu, comme celui vivant à l’intérieur de l’adulte, est accompagné dès sa vie utérine et jusqu’à ses trois ans.

D’emblée ces bébés posent question à leurs parents : qu’est ce que j’ai reçu ?

Est ce que j’ai reçu assez pour bien m’occuper de mon enfant ? Est ce que je sais aimer ? Pourquoi est ce que je fais pareil que mes parents alors que je désire faire autrement ? La répétition entraîne le sujet à la rencontre de lui-même.

Qu’en est il de la période du début de la vie, celle d’avant l’entrée dans le langage ? C’est parfois au tout début de leur vie que ces jeunes ont connu des ruptures relationnelles.

Le bébé, l’enfant, séparé de corps depuis la naissance, va, dans un double mouvement, à la fois poursuivre ce chemin de séparation, à la fois tisser un attachement aux personnes les plus importantes pour lui. Cette relation est faite de besoin, de désir et d’amour. Cette relation se construit avec ces ingrédients grâce au symbolique et à l’imaginaire, instances constitutives du sujet. En complète dépendance, l’enfant vivra la singularité du désir parental, de son rapport à l’objet. Les ruptures relationnelles ne sont pas sans laisser de traces et la forte demande d’amour qui persiste en est l’indicateur le plus important. Le transfert, phénomène répétitif de la demande d’amour, l’actualise avec force. La relation transférentielle est forte, houleuse, amoureuse, haineuse, élogieuse, ou rejetante. L’authenticité du professionnel est sollicitée de façon intensive. Le transfert opère à la fois sur un professionnel et sur l’ensemble de l’équipe. Les réunions cliniques remplissent une fonction contenante, réunissante, particulièrement indispensable du fait des ruptures du tissage relationnel. Ces réunions sont aussi moments de rêverie au sens de la rêverie maternelle de Bion. Elles sont l’occasion d’élaboration, donc de construction à partir des questions posées par les résidents. L’accueil informel qui accompagne des moments du quotidien, des moments de vie, est aussi occasion de tissage. Les résidents se réunissent spontanément au centre, maison centrale avec laquelle ils font la navette. Le dispositif représente autant de tissages relationnels que de rencontres avec la différence. Qu’en a-t-il été de ce tissage pour chacun ? C’est le bébé, dans ce qu’il exprimera, qui sera le meilleur indicateur et surtout, là aussi, une extraordinaire occasion de restaurer mais aussi de libérer l’enfant dans l’adulte. L’haptonomie fait partie de ce dispositif. Pratiquée régulièrement, elle s’adresse à la triade père-mère-enfant et permet le développement de la sécurité de base.

En conclusion, la répétition apparaît comme la nécessité dans laquelle le sujet se trouve de faire retour sur son être, pour parvenir au détachement, pour lâcher sa souffrance donc sa jouissance, pour sortir de la demande et pouvoir donner à son tour.

Accueillir des couples, c’est se risquer à accompagner l’aventure humaine qu’est la relation amoureuse. L’accueil en couple permet in situ de questionner les peurs qui empêchent le rapprochement. Les crises de couple sont des moments où la rencontre est insupportable et où chacun s’ingénie à s’écarter de l’autre. Le sujet se clive alors d’avec son objet au lieu de trouver le juste équilibre, la souplesse du mouvement de réunion-séparation et retour.

L’accueil en couple ne peut que contribuer au retour du sujet sur un temps premier souvent carencé en amour.

Toute réalité humaine est une construction imaginaire et symbolique. La merveille est qu’elle est singulière. Cette singularité, qui est à l’œuvre dans le tissage de la relation parents enfants ne cesse de s’exprimer, de s’acter, de se réinventer.

 

Régine LE BELLER

Psychologue

Le 17 Octobre 2010